Cette conférence est une mine d’informations, nourries d’illustrations éloquentes ; enseignements à la clé. À chacun de s’en saisir.
Comment l’innovation se produit-elle ? Quelles sont les conditions pour qu’elle survienne ?
Et l’on apprend que l’innovation se produit par vagues et qu’elle naît d’une poussée scientifique et technologique, mais que ce n’est pas suffisant : le résultat prometteur produit dans les laboratoires doit se convertir en hypothèse d’usage, porteur de sens, de valeur et de bénéfices pour le genre humain.
Et l’on apprend que cette conversion est à la fois dépendante de la culture du groupe qui porte le processus (un même savoir à une même époque ne produit pas la même chose selon la culture, ainsi la Cité interdite de Pékin ne ressemble en rien au château de Chambord) ; et elle se déroule le plus souvent en dehors de la loi. Pourquoi ? Parce qu’un projet innovant aborde toujours un sujet nouveau sur lequel le législateur ne sait pas raisonner.
Et l’on apprend que la diffusion massive de l’innovation ébranle les usages en place et, ce faisant, provoque une destruction importante, d’industrie, de métiers… avant de produire de nouvelles industries, de nouveaux métiers. Le solde est toujours positif, affirme Bruno Martinaud, la création de valeur économique toujours supérieure à la destruction pour le moment.
Pour exemple : l’invention de l’imprimerie en 1450 a supprimé le travail de quelque 10 000 moines copistes mais a créé des emplois pour dix fois plus de personnes et, 150 ans plus tard, a produit 15 millions de livres qui ont eu un impact considérable sur l’éducation et la diffusion des connaissances. Autre exemple, prospectif celui-là : la transformation numérique en cours détruirait 75 millions de jobs et en créerait 133 millions à l’horizon 2030.
L’innovation est donc un gage de survie pour une civilisation… ou pour une entreprise… ou pour une institution. Les Égyptiens, en s’arc-boutant sur leur système de hiéroglyphes, ont fini par péricliter, alors que les Grecs qui ont adopté l’alphabet ont développé une civilisation rayonnante. Les entreprises historiques de l’informatique dans les années 1980, en ne prenant pas au sérieux l’arrivée d’un objet singulier, le micro-ordinateur – « un jouet », disait-on – n’ont pas survécu (sauf IBM grâce au virage de son PC). De la même manière, Bruno Martinaud regrette que les institutions d’enseignement, traditionnelles, soient en train de rater le virage des cours en ligne pourtant en développement depuis 2012.
Pourquoi une civilisation, une entreprise ou une institution loupe-t-elle ces moments de transition que l’innovation accompagne ?
Choisir d’écrire avec des signes abstraits plutôt qu’avec un système imagé est, on le reconnaît, fortement contre-intuitif. Croire qu’un micro-ordinateur qui n’apporte aucune technologie nouvelle puisse par son design créatif redéfinir les règles du jeu en profondeur n’est pas une évidence. Réfléchir à une nouvelle interaction entre enseignants et élèves ou au jeu concurrentiel différent qui s’annonce ne l’est pas non plus. La rupture est trop violente.
Et l’on apprend que l’innovation est souvent vue comme un mauvais investissement.
Que retenir ? Qu’innover, ce serait prendre de mauvaises décisions ! Que changer, c’est changer deux fois : ce qui implique de changer le regard sur ce que l’on fait. Que comprendre est un luxe, et il faut se rappeler sans cesse que l’on n’est sûr de rien (Instagram est une conséquence du repérage attentif d’un usage ou d’un effet secondaire inattendu). Que l’innovation peut advenir à tout moment, justement là où on ne l’attend pas. Et bien d’autres choses…
Atelier d’impression, Jean Van Der Straet, XVIe siècle